J’étais nouvellement traductrice pour Belle et bien dans sa peau quand on m’a offert d’assister à un atelier, histoire de voir par moi-même comment se déroulait une séance.
J’avais traduit déjà plusieurs témoignages de personnes ayant fait l’expérience d’un atelier, et ce qui ressortait systématiquement, c’était l’accueil chaleureux des bénévoles, leur expertise et leur respect envers les participantes. Certaines mentionnaient comment une fois l’atelier commencé, les appréhensions disparaissaient pour faire place à la joie – un sentiment pas toujours présent pendant un cancer. D’autres soulignaient que le fait de se retrouver entourées de personnes confrontées à la même épreuve qu’elles leur apportait un soutien moral dont elles avaient grandement besoin, sans le réaliser. Pour d’autres encore, l’atelier se révélait énergisant, car il brisait l’isolement social engendré par les rendez-vous médicaux quasi quotidiens, la peur omniprésente pendant l’épreuve, les traitements éprouvants, et l’épuisement qui les gagnait au fil du temps.
Dans ces témoignages résonnait l’ampleur des défis qu’une personne doit surmonter pendant un cancer. Or, en assistant à un atelier, j’ai pu voir un autre aspect, soit l’envers du décor : les bénévoles, telles des fées, s’affairaient à préparer la salle avec soin et rigueur. Les gestes sûrs, sans doute exécutés mille fois auparavant, étaient posés avec enthousiasme et esprit d’équipe. (On ne recevait pas la reine d’Angleterre, mais c’était tout comme!) C’était beau, c’était vrai. Un réel sentiment de bienveillance rayonnait chez ces bénévoles; la plupart avaient déjà accompli une pleine journée de travail pour leur employeur, mais ces spécialistes en maquillage, en soins de la peau ou en prothèses capillaires avaient choisi de s’engager envers leur communauté, par générosité et solidarité. Les femmes qui allaient bientôt se présenter avaient grand besoin de l’expertise de ces spécialistes bénévoles et ces dernières le comprenaient bien.
J’ai pris place autour d’une table et, dès que les premières participantes sont arrivées, j’ai vu opérer la magie. Les bénévoles savaient lire les participantes : l’accueil était à la fois convivial et respectueux, jamais envahissant; chacune avait son espace, selon qu’elle était plus réservée ou plus ouverte.
Ces femmes qui venaient apprendre ce soir-là comment retrouver une apparence « normale » (bien que rien n’était normal dans leur vie à ce moment), ces femmes qui avaient choisi de sortir de chez elles en dépit d’une grande fatigue, de nausées imprévisibles ou d’un moral qui n’était pas toujours au rendez-vous se trouvaient réunies dans cette pièce pour (essentiellement) les mêmes raisons : le désir de reprendre leur vie en main, envers et contre tout. Elles allaient découvrir des trucs et astuces de maquillage pour redessiner leurs sourcils perdus, pour se redonner un peu de teint, pour prendre soin de leur peau devenue terne, de leurs ongles altérés par la chimiothérapie et la radiothérapie. Et peut-être se laisseraient-elles tenter par l’essai d’une perruque pour camoufler une tête désormais chauve ou d’un foulard qu’elles apprendraient à porter de multiples façons astucieuses.
De ce soir de février, je garde le souvenir d’un esprit de sororité qui naît tout naturellement lors d’un atelier de Belle et bien dans sa peau : des femmes qui aident d’autres femmes qu’elles ne connaissent pas, qu’elles ne reverront peut-être plus jamais. Avec le temps, les unes oublieront peut-être le nom des autres, ces anges qui ont été là pour elles l’espace d’une soirée, mais la chaleur de leurs échanges restera pour toujours. Comme l’expriment si bien ces paroles de la romancière et poète américaine Maya Angelou : « Les gens oublieront ce que vous avez dit, ils oublieront ce que vous avez fait, mais ils n’oublieront jamais ce que vous leur avez fait ressentir. » Pendant quelques heures, les bénévoles et les participantes auront été des sœurs cosmiques, des sœurs de coeur. Pendant quelques heures, elles auront connu ensemble une complicité et une amitié qu’en temps normal deux personnes mettent des années à tisser, à force de se côtoyer, de partager ensemble des expériences de vie. C’est là tout le pouvoir d’un atelier de Belle et bien dans sa peau.
Lorsqu’on m’a offert de traduire du contenu pour Belle et bien dans sa peau, j’ai d’abord hésité. Il y avait comme un malaise en moi. Je n’étais pas sûre de vouloir, ou même de pouvoir, écrire sur un sujet si difficile – des femmes frappées par une maladie grave qui entraîne des traitements souvent virulents. (J’avais eu un cancer du sein un an plus tôt et j’allais, quelques années plus tard, en surmonter un deuxième qui exigerait des traitements plus durs encore.) J’ai finalement accepté, en me donnant toutefois le droit de me retirer si l’expérience s’avérait trop rude. Puis j’ai réalisé que cette mission de Belle et bien dans sa peau me rappelait régulièrement (et avec bonheur) que la nature humaine est foncièrement bonne. En fait, pendant le deuxième cancer, je n’ai gardé comme client que Belle et bien dans sa peau. J’ai tenu à poursuivre ce travail, car les histoires et les témoignages avaient sur moi l’effet d’un baume. Belle et bien dans sa peau me rappelait chaque jour que je n’étais pas seule. Et tout est tellement plus doux quand on ne se sent pas seul, n’est-ce pas?